SATT Lutech : Mucoviscidose, vers un traitement universel

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22 janvier 2018
En France, près de 2 millions de personnes sont, sans le savoir, porteuses saines du gène de la mucoviscidose. Tous les 3 jours un enfant naît atteint de mucoviscidose et l’on recense aujourd’hui plus de 7000 patients.
 
La mucoviscidose est une maladie héréditaire à transmission autosomique récessive : seuls les sujets ayant hérité de deux mutations – l’une provenant du père, l’autre de la mère – sont atteints.

Les membranes cellulaires épithéliales constituent une interface dynamique entre l’extérieur et l’intérieur des cellules où de nombreux échanges se produisent. Ceux-ci sont permis par différents mécanismes dont les canaux ioniques qui ont une importance capitale car ils assurent les échanges d’ions et d’eau. Le canal CFTR (Cystic Fibrosis Transmembrane conductance Regulator), qui est présent dans de nombreux organes comme les poumons, le pancréas ou le foie, régule le flux d’ions chlorure participant activement à deux paramètres physiologiques essentiels à savoir la balance osmotique et le pH. Une perte d’activité de ce canal peut entrainer des bouleversements physiologiques importants qui peuvent conduire à des complications graves, voire létales, telle que la mucoviscidose. Cette maladie rare, qui touche près de 7.000 personnes en France représente un marché de plus de $2 milliards dans le monde, est due à une mutation du gène qui code pour le canal CFTR. Les altérations du gène codant pour la protéine CFTR, dont plus de 2000 ont été observées jusqu’à présent, conduisent à la production d’un canal défectueux ou non fonctionnel dont les défauts ont pour conséquence des symptômes comme une insuffisance respiratoire majeure qui entrainent une réduction de l’espérance de vie ainsi qu’une morbidité des malades. Avec des traitements essentiellement symptomatiques, la société américaine Vertex Pharmaceuticals commercialise depuis peu le premier traitement curatif : l’Orkambi®. Cependant, malgré l’attente des patients et des praticiens, l’efficacité de ce traitement reste très limitée en termes d’efficacité et restreint à une sous-population de patients atteints de mucoviscidose. Devant la diversité de mutations du gène CFTR conduisant à la mucoviscidose, il semble en effet difficile de trouver un traitement curatif à la fois efficace et universel.

Des stratégies alternatives, visant de nouveaux canaux ioniques pour compenser le manque ou l’absence de CFTR, sont actuellement explorées. C’est en ayant conscience de cette stratégie compensatoire qu’Olivier Tabary, chargé de recherche Inserm au Centre de Recherche Saint-Antoine, et que Florence Sonneville, aujourd’hui post-doctorante au sein de la même unité mixte de recherche UPMC/APHP/INSERM « Mucoviscidose : physiopathologie et phénogenomique« , ont développé un oligonucléotide antisens qui présente des résultats prometteurs. Cette innovation brevetée (*) vise à agir sur le mécanisme de régulation d’une autre famille de canaux chlorures les anoctamines de type 1 (ANO1), dont l’activité est réduite chez les patients atteints de mucoviscidose (**). L’utilisation de ce composé permet non seulement de rétablir l’activité d’ANO1 mais également de le potentialiser si bien qu’elle puisse compenser le défaut d’activité des canaux CFTR défectueux.

En focalisant leurs travaux sur le canal ANO1 indépendant  des gènes associés à la mucoviscidose, les chercheurs ont élaboré une stratégie médicale qui devrait, en cas de succès, avoir un impact considérable en offrant à l’ensemble des malades  ce qu’ils attendent, à savoir  le premier traitement curatif efficace et universel. En d’autres termes, tous les patients atteints de mucoviscidose pourrait être traités quelle que soit la mutation dont ils souffrent contrairement au traitement avec l’Orkambi® déjà limité en termes d’efficacité. Pour développer leur projet, l’équipe et la SATT Lutech ont élaboré un programme de développement visant notamment à valider l’efficacité du nouveau nucléotide antisens in vitro, ex vivo et in vivo. A l’issue de cette période de maturation en 2018, le composé pourra être proposé à l’industrie pharmaceutique afin qu’elle en finalise le développement et débute les premiers tests cliniques.

Ces résultats d’intérêt sont également mentionnés dans la presse grand public écrite et radio.

La récente publication d’un article sur les travaux dans la revue  Nature Communications (***) démontre la pertinence scientifique du projet. Nous avons interrogé Olivier Tabary et Florence Sonneville sur leur vision ainsi qu’Adrien Bussard, chef de projet Lutech, sur les programmes de maturation.

(*) WO2017005646

(**) La diminution de l’activité chlorure de CFTR muté entraine une surexpression de miR-9, un micro-ARN (voir article), responsable de la diminution d’expression d’ANO1 (Ruffin, Manon, Mélanie Voland, Solenne Marie, Monique Bonora, Elise Blanchard, Sabine Blouquit-Laye, Emmanuel Naline, Philippe Puyo, Philippe Le Rouzic, Loic Guillot, Harriet Corvol, Annick Clement, and Olivier Tabary. « Anoctamin 1 dysregulation alters bronchial epithelial repair in cystic fibrosis.«  Biochimica et Biophysica Acta (BBA) – Molecular Basis of Disease 1832, no. 12 (2013): 2340-351. doi:10.1016/j.bbadis.2013.09.012). Il est illustré dans le schéma ci-dessous.

(***) Sonneville, Florence, Manon Ruffin, Christelle Coraux, Nathalie Rousselet, Philippe Le Rouzic, Sabine Blouquit-Laye, Harriet Corvol, and Olivier Tabary. « MicroRNA-9 downregulates the ANO1 chloride channel and contributes to cystic fibrosis lung pathology. » Nature Communications 8, no. 1 (2017). doi:10.1038/s41467-017-00813-z.


Comment articulez-vous vos travaux de recherche avec le programme de maturation ?

[Olivier Tabary] Le programme de maturation est en fait une partie de mes travaux de recherche et s’inscrit dans un tout. Il est la continuité d’un travail fondamental commencé il y a plusieurs années dont le but initial était de comprendre les mécanismes moléculaires dérégulés chez les patients atteints de mucoviscidose. Cette connaissance acquise nous a permis de détourner la machinerie cellulaire pour corriger ce qui est déficient chez les patients.

Ce programme de maturation se fait en parallèle de travaux plus fondamentaux qui peut être un jour aboutirons eux-mêmes à un programme de maturation.

[Florence Sonneville] Le programme de maturation est la continuité de mon projet de thèse, c’est l’opportunité pour moi de valoriser mes travaux et de les amener le plus loin possible. J’ai commencé par un projet très fondamental à l’aide de recherches sur des bases de données bio-informatiques et nous développons aujourd’hui un programme de maturation vers une application thérapeutique pour les patients atteints de mucoviscidose.


Quelles relations le laboratoire entretient-il avec les acteurs du secteur médical (industrie pharmaceutique, médecins, patients.) ? 

[Olivier Tabary] Notre laboratoire est dirigé par le Pr. Harriet Corvol qui est pneumologue à l’hôpital Trousseau à Paris, ceci nous permet d’être en interaction directe avec les médecins spécialistes de la mucoviscidose, et de savoir pourquoi nous travaillons. Nous devons nous rappeler chaque jour que ce n’est pas qu’un travail et que le but est de guérir les patients. Une partie de nos travaux est financée par l’association Vaincre la Mucoviscidose qui est en étroite relation avec les patients. Il est à noter que ce projet est considéré comme stratégique par l’association.

Pour ce qui est de l’industrie pharmaceutique, nos interactions sont normalement assez limitées du fait de la dichotomie qui est pratiquée en France entre le secteur privé et le secteur public. Florence ayant obtenu un diplôme universitaire de valorisation et ayant moi-même bénéficié d’une bourse CIFRE (partenariat public-privé) durant ma thèse, nous sommes sensibilisés sur l’intérêt de travailler ensemble. Avec ce programme de maturation, et avec l’aide de la SATT Lutech nous travaillons dans ce sens, car nous sommes parfaitement conscients qu’à terme le développement d’un médicament ne pourra passer que par un partenariat public-privé.


Quel impact la publication de vos travaux dans une revue prestigieuse comme Nature Communications peut-elle avoir sur le développement du médicament ?

[Olivier Tabary] L’impact est majeur… il s’agit de la reconnaissance de nos pairs sur la qualité de notre travail. Une revue comme Nature Communications est une vitrine, une vitrine de nos compétences et de notre savoir-faire aussi bien pour les scientifiques que pour les médecins et ceci à l’échelle mondiale. Une publication de ce genre permet d’être invité à parler aux congrès, de trouver de futurs collaborateurs, de trouver de l’argent pour continuer. On pourrait croire qu’une publication est la fin d’une histoire, mais il s’agit en fait du début d’une aventure.


Comment positionnez-vous ce projet dans votre parcours professionnel ?

[Olivier Tabary] Me concernant ce projet a dépassé mes espérances initiales. Ce projet est l’opportunité à saisir dans une carrière de chercheur, car c’est une aventure scientifique et humaine. Cela ouvre d’autres horizons, d’autres compétences et permet au chercheur que je suis de découvrir autre chose que la paillasse et d’envisager d’évoluer vers un poste de directeur de recherche. Ma devise de tous les jours est « Citius, Altius, Fortius ».

[Florence Sonneville] Ce projet a également dépassé mes espérances initiales. J’ai pu continuer et valoriser mon projet de thèse pour l’amener en phase préclinique. Souhaitant continuer ma carrière en tant que chef de projet dans la valorisation et le transfert de technologie, ce projet constitue une 1ère expérience valorisable dans mon cursus.


[Adrien Bussard] Comment construit-on un programme de maturation ?

Un programme de maturation n’est autre qu’un projet de Recherche et de Développement destiné à fiabiliser les résultats scientifiques pour présenter une technologie la plus mature possible à des partenaires industriels. Ce programme se construit de manière stratégique pour répondre aux attentes des industriels et démontrer tout le potentiel de la technologie. Sa construction passe donc par une analyse socio-économique poussée (définition du marché adressable et de ses évolutions, identification des technologies concurrentes, …), une évaluation du contexte de la propriété industrielle, juridique et réglementaire ainsi qu’une définition des verrous technologiques à lever. L’ensemble de ces éléments nous permettent de définir un programme spécifique qui permettra d’amener la technologie à un niveau de maturité suffisant pour être transféré. En plus de ce travail en interne, cœur de notre métier, nous n’hésitons pas à nous appuyer sur l’expertise technique des porteurs du programme et à interroger des spécialistes du marché adressable aux profils variés (industriels, patients, agences règlementaires, …) pour orienter le programme et optimiser les étapes clés de son déroulement.

En d’autres termes, ce programme vient regrouper des tâches nécessaires à la maturation technologique du projet pour démontrer son caractère innovant et pour répondre aux besoins des industriels, de la règlementation et des clients. La pertinence des programmes mis en place par Lutech est d’ailleurs évaluée et validée par son Comité d’Investissement qui réunit des spécialistes de la valorisation et du développement avant tout investissement.


[Adrien Bussard] Quelles sont les spécificités d’un programme de maturation dans le secteur de la santé ? 

Pour des projets en   « Santé », la construction du programme de maturation suit globalement des tâches « standardisées » et d’autres plus « personnalisées » articulées entre elles de manière stratégiques.

Les tâches standardisées permettent de répondent à une liste d’interrogations des industries pharmaceutiques qui nous sont systématiquement demandés lorsque nous leurs présentons des technologies. Nous intégrons donc toujours à nos programme de maturation des tests clés pour pouvoir y répondre comme par exemple l’évaluation de la toxicité et des effets secondaires, la pharmacocinétique et la biodistribution du composé ou encore une comparaison d’efficacité avec les technologies référentes actuelles.

Ensuite, en fonction des projets, nous personnalisons davantage la maturation technologique pour faire ressortir au mieux le caractère innovant, lever les verrous technologiques existants et répondre aux mieux aux besoins des patients et des praticiens.

Dans le cas du projet de Florence et d’Olivier, en plus des tâches standards, nous avons par exemple axé une grande partie du programme de maturation sur la définition de la meilleure voie d’administration pour essayer de passer d’une efficacité locale pulmonaire à une efficacité généralisable aux autres organes touchés par la mucoviscidose. L’ensemble du programme de maturation est actuellement en cours et permettraient in fine de répondre aux exigences des industriels et d’avoir la preuve qu’un traitement unique, efficace et universel est possible pour traiter la  mucoviscidose.

D’une manière plus globale, les spécificités d’un programme de maturation dans le secteur de la santé viennent du fait que les entreprises pharmaceutiques souhaitent acquérir des technologies dé-risquées au maximum. Ceci passe par la construction stratégique d’un programme de maturation prenant en compte leurs nombreux besoins et la démonstration du potentiel technologique pour la pathologie.

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